Parce qu’il existe avant nous, écouter son environnement est le meilleur préliminaire pour réussir une initiative. Interviewer les acteurs en commençant par les plus modestes dans l’organisation. Se contenter de trois questions, mais quelles questions ! Et savourer le plaisir que donnent ces entretiens !
L’attention aux parties prenantes : elles étaient là avant nous !
Pourquoi écouter son environnement ? Parce qu’il nous précède ! En effet, les personnes présentes ont des choses à dire, elles ont vécu, peut-être ont-elles eu, dans le passé, velléité de changer et sentiment d’échouer.
Je pense sincèrement que la plupart des parties prenantes d’un projet ont par défaut le pied sur le frein. Comment leur faire quitter le frein ? En les écoutant, personnellement. Pour autant, elles n’auront pas toutes le pied sur l’accélérateur, mais bon, c’est un début.
Se reconnaître acteur ou actrice aide à comprendre les autres acteurs autour de nous.
À quels signes pouvez-vous vous reconnaître acteur / actrice ?
- Vous agissez, vous prenez des décisions ;
- Des objectifs vous sont personnels, bien à vous, ils dépassent ceux de votre poste, de votre organisation ;
- vous avez une certaine autonomie (gestion de vos sujets, de votre temps, de vos ressources, …) ;
- vous agissez avec de bonnes raisons, avec rationalité, bien qu’avec une rationalité limitée par le temps, l’information disponible, etc. ;
- des incertitudes vous inquiètent, que vous cherchez à réduire ;
- enfin, vous avez un pouvoir réel, vous amenez certaines personnes à réaliser ce qu’elles n’auraient pas réalisé sans que vous le leur demandiez.
En résumé, vous êtes un acteur/une actrice.
Découvrez-vous acteur/actrice au moyen d’un questionnaire simple et puissant
Ce que vous faites. Décrivez votre journée type, comment vous la commencez, etc. Vos actions concrètes, plutôt que la fiche de votre poste.
Ce qui est difficile. Il y a toujours quelque difficulté dans ce que nous faisons. Pour vous, de quoi s’agit-il ?
Avec qui vous êtes en relation. Quelles personnes, quels groupes ?
Dessinez les personnes et les groupes avec lesquels vous travaillez, au moyen d’organigrammes, de patatoïdes ou de diagrammes de relations.
Allez interviewer les autres personnages en présence
Dans un second temps, allez à la rencontre de vos collègues. Pour cela, commencez informellement, par les personnes les plus proches du terrain, de la matière, de la machine ou de l’information.
Nous travaillons avec trois genres de personnages : les commanditaires, les superviseurs et les opérateurs.
- Les commanditaires sont les personnes de pouvoir dans l’organisation, qui prennent l’initiative sous leur aile et lui fournissent les moyens de réussir.
- Les superviseurs sont les manageurs qui gèrent les personnes et les moyens de l’organisation.
- Les opérateurs sont les personnes qui font, réalisent, transforment la matière ou l’information en quelque chose qui a de la valeur — selon l’initiative, l’opérateur peut être ouvrier, médecin ou ministre.
Vous constaterez que certaines personnes ont pour rôle principal de faire du lien, communiquer, faciliter les relations entre acteurs.
Comment procéder ?
Rencontrez les personnes individuellement. Dans le cadre d’un projet, vous seriez légitime à prendre des rendez-vous formels. A ce stade, l’approche informelle suffit. Les interviews sont possibles sans prendre rendez-vous, à la machine à café ou à la cafétéria, par exemple.
Intéressez-vous à la journée type de vos interlocuteurs, aux difficultés techniques ou relationnelles et aux relations entre les personnes dans leur environnement : « ce que vous faites, ce qui est difficile, avec qui vous êtes en relation ». Identifiez chaque relation (est-elle tendue ? est-elle cordiale ?) et notez-en l’intensité, faible ou forte.
Commencez par les personnes les plus modestes dans l’organisation. Parce qu’elles sont souvent disponibles plus que les autres. De plus, leurs managers apprendront tôt ou tard que vous avez des informations complètes, plus complètes que les leurs, souvent. Les entretiens avec eux n’en seront que plus intéressants.
En pratique, qu’est-ce que ça donne ?
Le plus dur, à ce que j’ai compris, c’est d’oser interviewer. L’interview elle-même est un moment plaisant, en tout cas passionnant.
Dans certains cas, votre interlocuteur souhaite obtenir l’aval de son superviseur. Eh bien, soit, obtenons l’accord de son manager. Préparez une adresse du type quoi + pourquoi + comment :
- « Je souhaiterais interviewer Paul au sujet de son travail. J’ai besoin de mieux connaître mon environnement et Paul est une personne clé dans l’organisation. Je serais heureux que vous m’autorisiez à subtiliser un peu de temps de Paul. Nous pourrions parler à la cantine, pour réduire l’impact sur la production. »
L’entretien se prolonge fréquemment, de ¾ d’heure à 2 heures. C’est important pour la prise de rendez-vous éventuelle. C’est pourquoi j’ai une pratique personnelle : je propose un créneau de ¾ d’heures à un moment où un débordement est possible ; quelques minutes avant l’heure de fin, je demande comment la personne souhaite procéder. La plupart du temps, elle souhaite poursuivre l’entretien.
Certaines personnes auront un goût de première fois dans cette situation où quelqu’un les écoute.
Le sujet est le présent. De fait, certains d’entre nous ont besoin de toucher, de visiter pour mieux comprendre. Tandis que c’est difficile pour le passé, c’est réalisable pour le présent. De plus, la mémoire sélectionne des souvenirs ; les entretiens à propos du présent sont plus objectifs.
Peut-on faire ces entretiens au téléphone ? Dans un premier temps, préférez la présence aux côtés de la personne, afin de percevoir par tous vos sens ce que la personne vous communique. C’est pour cela que le face-à-face est irremplaçable.
« Et si je me fais rembarrer ? » Certes, cela arrivera, mais rarement. C’est à dire qu’au fur et à mesure des entretiens, votre réputation d’écoutant(e) vous précèdera. Aussi, la plupart du temps, l’entretien aura lieu et ce sera un plaisir partagé.
Et ensuite ?
Ensuite, il s’agit de collecter les retours d’expérience du groupe.
Dans le cadre particulier de l’accompagnement du changement, le Modèle ADKAR propose une étape d’analyse du changement vécu par les personnes.
Quelques références
Acteurs dans un système, ce sont Crozier et Friedberg qui étudié ce phénomène en France. L’idée centrale, c’est que les acteurs ont de bonnes raisons d’agir comme nous les voyons faire, à nous de découvrir ces raisons. Notez que Crozier-Friedberg font l’hypothèse que l’acteur a les ressources psychologiques pour tenir son rôle – c’est là la place qu’ils font à la psychologie. Concrètement, si nous remplacions un acteur un rien timbré par une personne saine d’esprit, cette logique voudrait que le remplaçant prennent bientôt les tics du remplacé, à paramètres du poste égaux.
BERNOUX P., La Sociologie des Organisations, Paris, Editions du Seuil, coll. « Point Essais », 1985 (et éditions revues et augmentées ultérieures). A lire absolument.
CROZIER M., FRIEDBERG E., L’Acteur et le Système, Les contraintes de l’action collective, Paris, Editions du Seuil, 1977. Plus détaillé, plus technique. Une référence.
Pascal Le Deley dit
Comment prendre des notes des entretiens ?
Le plus rapide : les notes manuscrites ou sur ordinateur, en séance. Annoncer à l’interlocuteur que je prends des notes pour mieux l’écouter. Le soir venu, reprendre les notes et les compléter de mémoire. Pour une heure d’entretien, environ 3/4 d’heure de relecture.
Le plus complet : l’enregistrement audio repris ensuite… Attention, méthode longue : pour une heure d’entretien, pas moins de 2 heures de réécoute pour des notes exhaustives (c’est l’expérience que j’en ai, du moins). Attention encore : parler devant un micro modifie souvent l’attitude de l’interlocuteur.
La méthode que je préfère : la première, parce que plus libre et plus rapide.