Le management de projet, est-ce bien nécessaire ? Une organisation de projet qui gagne confortablement sa vie sans management de projet effectif, ça existe, n’est-ce pas ? Implanter le management de projet dans les organisations, n’est-ce pas d’arrière-garde ? Tout n’a-t-il pas été fait ? Même les étudiants des années 2000 recevaient des cours de management de projet ! Certes. Mais mon interprétation, c’est que nous en sommes au début de l’histoire.
Je suis au service des lanceurs d’initiatives. Je me consacre à la communauté des managers de projet depuis toujours et j’élargis mon service à celle des lanceurs d’initiatives, plus vaste et tout aussi concernée par le « faire-aboutir ». Or, voilà que je me pose la question ce matin : implanter le management de projet dans le contexte socio-économique de l’Europe de l’Ouest aujourd’hui, est-ce has-been ? Tout n’a-t-il pas été fait ?
Novembre 2017, Trump est élu président depuis 1 an et, le 29 avril, le premier train direct parti de Londres est arrivé à Yiwu, une ville de deux millions d’habitants au sud de Shanghai, première évidence que les Chinois ont rouvert la Route de la Soie, Orient <> Occident.
Seulement, quelques pensées virevoltent dans mon esprit, au réveil :
- Le management de projet, est-ce bien nécessaire ? Une organisation de projet qui gagne confortablement sa vie sans management de projet effectif, ça existe, n’est-ce pas ?
- Implanter le management de projet dans les organisations, n’est-ce pas d’arrière-garde ? Même les étudiants des années 2000 recevaient des cours de management de projet !
Si manager les projets est devenu aussi business-as-usual, alors mes prestations d’accompagnement sont has-been, non ?
Pas si sûr.
Examinons ces questions une à une.
Le management de projet, est-ce bien nécessaire ?
Non, manager un projet n’est pas nécessaire dans l’absolu. On peut y aller à l’arrache, on peut improviser, et ça peut très bien réussir.
Je suis intervenu dans une organisation commerciale comprenant 500 personnes, vieille de 50 ans, pour autant dépourvue de processus et leader dans sa branche. Comment est-ce possible ?
C’est que les manières de procéder, comme le management des initiatives ou la gestion de projet, ne sont pas les seuls facteurs clés de succès.
En effet, prenons trois paramètres :
- l’environnement socio-économique de l’organisation,
- les processus qui encadrent ses pratiques, dont le management de projet,
- et, enfin, ses experts, dont les chefs de projet.
Quelle hiérarchie entre ces paramètres ? Lequel est le plus important dans la réussite d’une organisation ?
Environnement > Processus > Experts.
Reprenons mon exemple. Cette société, arrivée première sur son environnement socio-professionnel, a créé un besoin. Le marché s’est structuré sur ses prestations. En l’absence de concurrence, ses prestations ont été jugées satisfaisantes. Comme une espèce nouvelle dans un biotope, elle jouit d’un avantage concurrentiel et d’une absence de concurrence, elle prospère. Environnement propice, succès, no matter what.
Arrivent les concurrents, attirés par la manne. Challengers, ils visent l’efficacité. Arrivés seconds, ils observent. Deux solutions s’offrent à eux :
- débaucher un expert de la société leader
- se doter de processus vertueux
En effet, des collaborateurs sont reconnus comme experts dans leur domaine. Débaucher un expert, c’est faire d’une pierre deux coups : priver le leader d’une ressource-clé et bénéficier des lumières de ladite ressource en interne. Bon plan ? Hélas, en apparence seulement.
L’expert a ses pratiques, peaufinées selon ses limites et ses capacités à lui/elle. Pour autant, l’expert sait-il expliquer ses succès ? En quoi doit-il/elle la réussite à ses manières de faire ? Sait-il/elle partager ses façons de procéder avec d’autres ? En a-t-il/elle le souhait ?
Au final, il ne suffit pas aux challengers de débaucher les experts du leader. Aussi investissent-ils en des processus de travail vertueux que les non-experts, plus nombreux et moins onéreux, utilisent, partagent, améliorent et optimisent. Les résultats ne se font pas attendre. La satisfaction client non plus.
Avec des concurrents agressifs et efficaces, le nouvel environnement n’est plus aussi porteur… C’est alors qu’on assiste à la chute de la société leader historique, comme c’est effectivement le cas dans mon exemple.
J’aurais tendance à dire au leader déchu : les experts sont partis vers d’autres cieux ? Eh bien, formalisons des processus avec ceux et celles qui restent et tout ira pour le mieux. Et faisons en sorte que les collaborateurs adoptent vite, bien et durablement ces processus nouveaux pour eux. C’est tout l’objet du management d’une initiative : faire que beaucoup adoptent rapidement et efficacement le changement.
Cela étant, j’ai bien conscience que ce n’est pas seulement l’expertise technique qui part à la concurrence, c’est aussi le réseau, les connexions aux personnes. Or, notre cerveau est très orienté « personnes », justement. Du coup, le dommage du passage d’un expert à la concurrence n’est pas tant la perte de l’expertise technique (je doute de son intérêt brut) que celle de son réseau de connaissances, c’est à dire de la maîtrise de l’environnement, encore lui.
Je confirme, je pense que l’ordre d’importance est le suivant : Environnement > Processus > Experts.
Le management d’une initiative, le management de projet : des processus d’efficacité.
Donc, on peut réussir sans processus d’efficacité aussi longtemps que l’environnement est porteur. Mais en Europe de l’Ouest, dans des marchés saturés, trouver un environnement porteur est difficile, de plus en plus.
Identifier une niche ? Oui, pourquoi pas. Il faudra changer nos produits. Certainement aussi, nos façons de produire. Voilà qui relève de l’initiative, voilà qui fait naître des projets.
Déménager dans un environnement porteur à l’étranger ? Faisable, oui. Là encore, changements : pour les personnes et les infrastructures. Encore des initiatives, encore des projets.
Ainsi, il est plus que jamais question de faire aboutir des initiatives, et d’implanter le management de projet.
Le management de projet n’est-il pas déjà implanté dans les organisations ?
Oui, les connaissances en management de projet ont explosé ces dernières années. Cycle en V, Agile, et même « PM for Dummies » et « Scrappy Project Management ».
Le corpus a grossi. Le PMBOK, pour ne parler que de lui : 176 pages en 1996, 589 pages en 2013 (4ème édition). Le PMI propose en Août 2017 pas moins de 8 certifications ayant traît au management de projet.
Les gens formés sont chaque année plus nombreux. Il y avait 790.148 certifiés PMP dans le monde en Août 2017. Les adhérents aussi. Il y avait 4.999 membres dans le chapitre PMI-France en octobre 2017, d’après le site PMI-France.
De tout cela, l’on est tenté d’induire qu’implanter le management de projet, c’est fait.
OK. Mais quid de l’usage réel du management de projet, sur le terrain, dans les contextes concrets ?
Exemple, FICAM, une société d’assurances mutualiste, a une armada de chefs de projet dûment formés. Pourtant, les reportings projets sont flous, des jours.hommes sont engloutis sans production aucune et le management ne joue pas le jeu du sponsorship. Un Hummer qui aurait un moteur de Solex.
C’est que la formation de quelques uns n’est pas tout. La formation, ça augmente le niveau de connaissances. Largement insuffisant.
Le Modèle ADKAR® décrit 5 conditions à remplir pour réussir l’implantation d’un changement dans une organisation.
En considérant que manager un projet (versus le réaliser sans méthode) consiste en un changement pour l’organisation, le modèle ADKAR® me paraît pertinent. C’est que, pour les auteurs de ce modèle, chaque membres d’une organisation (où l’on souhaite implanter une nouvelle façon de procéder) s’embourbe successivement dans 5 trous, si l’on n’y prend pas garde :
- La fosse de la prise de conscience : pourquoi je devrais changer quoi que ce soit à ce que je fais, je ne sais pas.
- Le vide d’envie : en quoi ça me concerne, ce n’est pas clair, ce que j’y gagne, non plus.
- La trappe de l’ignorance : comment ça marche et comment je peux m’y adapter, je l’ignore.
- Les nids-de-poule du manque d’habileté : comment résoudre les nouveaux problèmes du quotidien, je sèche.
- La caverne de l’habitude : est-ce que tout ça a servi à quelque chose, finalement, j’en doute.
Il faut embarquer tous les acteurs, chacun des acteurs.
Pour pratiquer le management de projet, c’est clair pour moi : les parties prenantes à convaincre ne se limitent pas aux chefs de projet. Il y a les sponsors, nombreux, comme les manageurs, les experts, les collaborateurs, même. Tous influent sur le déroulement d’un projet. Il faut tous et chacun les embarquer.
Ainsi, c’est bien trop court d’avoir comblé la trappe de l’ignorance pour les chefs de projet, ou de les avoir sortis de l’ornière du défaut d’habilité.
En somme, est-ce la fin du processus d’implantation des pratiques vertueuses de management des initiatives et des projets ? Non, au contraire.
Novembre 2017 : les cartes politiques sont rebattues par la présidence américaines – je dirais aussi, les cartes morales – et celles du commerce international par la Chine. Les contemporains de S. Augustin, apprenant le sac de Rome par les troupes d’Alaric en 410, ne devaient pas être plus rassurés que nous. Certains ont dû penser : c’est la fin de l’Histoire.
Mon interprétation, c’est que nous en sommes au début de l’histoire.
Ce à quoi la situation m’invite, c’est à contribuer à combler chaque ornière pour chaque acteur des projets. Aider les lanceurs d’initiatives à les faire aboutir. Implanter le management de projet.
Vaste programme.
ADKAR® et les termes « Awareness Desire Knowledge Ability Reinforcement » sont des modèles déposés de la société Prosci située à Loveland/Fort Collins, Colorado, USA.
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